Depuis quatre décennies, le village de Niomré et ses environs ont trouvé leur filon à travers l’émigration dont les sirènes ne cessent d’appeler les fils de ce terroir. Mais dans ce bled, les candidats au voyage restent fidèles à la voie légale pour émigrer en Afrique centrale, en Europe et plus récemment aux Etats-unis.

Dans ce village du Ndiambour situé à 10 kilomètres de Louga, rendu célèbre par son fort taux d’urbanisation et la mobilité de ses fils, les populations ne vivent que par et pour l’émigration. Surtout les jeunes garçons pour qui l’horizon se limite à embarquer et aller faire fortune hors de chez nous, au détriment de l’école et du travail de la terre. Ici, l’émigration est une fin pour grimper dans l’échelle sociale. Les jeunes vivent ce rêve, éveillés, uniquement tendus vers le jour de leur embarquement ; le grand jour pour eux. Tout dans le village ramène à cette issue que les populations se sont fixée.

La voie a été ouverte en 1973, subséquemment à la grande sécheresse qui a ravagé le Sénégal et plus particulièrement cette partie jouxtant la Mauritanie. Après la perte des récoltes et du bétail et le petit commerce ayant périclité, les populations n’eurent d’autres choix que d’émigrer vers d’autres horizons plus cléments. C’est ainsi qu’ils posèrent leurs balluchons à Louga, Thiès, Dakar et d’autres grands centres urbains du Sénégal où ils savaient pouvoir trouver un coup de pouce, pour repartir de plus belle et acheter des semences pour la saison des pluies suivante. Leurs domaines d’activités alors, c’étaient la brocante, le nettoyage de véhicules, charretiers, manœuvres et tous autres petits métiers négligés par les autochtones. Il faut dire que certains d’entre eux sont revenus au bercail, après avoir trouvé de quoi repartir sur de nouvelles bases, mais les autres, estimant avoir trouvé un créneau porteur sont restés. Mais ils avaient pris le soin d’assurer les dépenses de la famille restée au terroir en donnant la pitance, achetant le petit bétail et les semences pour les cultures vivrières. C’est cette première génération qui a procédé à l’émigration en saut de puce : allant toujours un peu plus loin. Le début n’était pas toujours facile, mais, les proches restés au pays gardaient la foi en leurs parents qui s’étaient portés volontaires, pour prendre en charge les autres membres de la famille.

Après avoir passé quelques années et avoir travaillé comme des forçats, ces pionniers ont donné la possibilité, à leurs parents proches (un frère, un cousin, un neveu …), d’aller les rejoindre sur leurs terres d’asile et jeter les bases d’affaires familiales qui ont le plus souvent marché, compte tenu de l’originalité de leurs activités. Ainsi, entre 500 et 600 fils de Niomré se trouvent à l’extérieur du Sénégal et géographiquement, sont répartis entre la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et dans de nombreux pays de l’Afrique centrale ou orientale.

Le nombre élevé d’émigrants résulte d’un élan de solidarité qui veut que chaque émigré de Niomré une fois installé, donne la possibilité à un membre de sa famille d’aller le rejoindre par la voie légale, avec un visa en bonne et due forme. Autrement dit, il n’existe dans le village aucune forme d’organisation associative ou fédérative qui se charge de faire émigrer les jeunes en âge. Avec charge pour eux de rembourser les frais de transport au bout de six mois. D’ailleurs, la méthode parentale a de sérieuses répercussions sur la scolarité des garçons qui savent que vers l’âge de 18 ans, ils auront la possibilité de s’expatrier. Ainsi, ils ne montrent aucune assiduité à l’école et ne se préoccupent plutôt que d’avoir le passeport en poche à cet âge-là. Cette situation n’est pas sans tracasser les autorités académiques qui, tout en se félicitant de la scolarisation satisfaisante des filles, mettent en place des stratégies pour maintenir les garçons plus longtemps à l’école. Tout en leur donnant envie d’être studieux car lestés d’un certain bagage intellectuel, les émigrés ont plus de chance de s’insérer dans les circuits productifs du pays de leur choix.

Le travail, seul viatique

Des pionniers sont revenus au bercail et en plus de gérer leurs affaires personnelles se chargent aujourd’hui de l’armement moral des candidats à l’émigration, en leur donnant des tuyaux sur l’attitude à adopter, une fois hors du pays. Ils sont devenus des icônes dans le village où leur avis est sollicité pour toute difficulté qui se présente sur le chemin des voyageurs. Car, il demeure évident que l’émigration n’est pas ce coin de paradis auquel ils peuvent s’attendre.

Les jeunes, qui s’envolent vers d’autres horizons, ont alors avec comme viatique le travail. Et la droiture. Cette consigne, les émigrés la gardent à l’esprit toujours car ils rêvent de rentrer un jour à Niomré, les poches pleines de devises, roulant à bord de voiture rutilante et prenant épouse dans ce terroir de leurs ancêtres.

A Niomré, les populations, qui doivent tout ou presque à l’émigration, ne comprennent pas le phénomène des « boat people » qui a récemment secoué le Sénégal avec le départ de véritables flottilles de pirogues de candidats-émigrants à destination de l’Espagne. Tous se prononcent pour une émigration régulière, avec les titres de voyage valables.

UN REPORTAGE DE SALIOU FATMA LO